Accompagner un enfant malade, c’est une expérience hors du commun, unique et universelle à la fois.
Découvrez ce témoignage touchant, récit d’un moment unique : la rencontre entre l’enfant et son accompagnateur.
"Tous ceux qui l’avaient déjà fait m’avaient prévenue, pourtant, que cela serait fort. Mais pour l’heure, je n’avais seulement qu’une image, confuse encore, de celle que je devrais retrouver dans quelques heures. Quelques informations sommaires, formalités auxquelles on peut difficilement se résoudre : Faty, 13 ans, une photo envoyée par sa famille à l’intention des accompagnateurs. Le trajet à accomplir serait encore long pour la petite qui, péniblement réfugiée dans le mauvais sommeil du vol Dakar-Paris, aurait encore à prendre un train jusqu’à Strasbourg en ma compagnie.
Quand je l’aperçus d’abord, je crus qu’elle avait cessé de s’accrocher aux rares bribes de vraisemblance de ce qui était en train de lui arriver. Seule au monde et accrochée seulement à la valise qu’elle traînait derrière elle, elle s’en remettrait à moi, fatalement, et ses yeux embués de fatigue semblaient dire : « qu’importe, que cela finisse ». Mais était-ce là l’étourdissement pénible du voyage ou sa timidité envers moi, parfaite inconnue ?
Je m’attachais dans les premières minutes, sur le chemin de la gare, à tenter de lever par une conversation le voile d’étrangeté qui pesait entre nous. À bien y réfléchir désormais, elle avait déjà dû entendre cent fois les questions que je lui adressais, les mots que je voulais rassurants. Elle les entendrait encore beaucoup, longtemps, de la bouche d’accompagnateurs, de docteurs et d’infirmières, arrêtant d’en relever le nombre. Ses réponses leur seraient universelles.
Mais sur le quai de la gare, une candeur infinie enveloppait l’instant. Toutes mes manifestations ne signifiaient plus que ma présence auprès d’elle, présence adossée fiévreusement à la brusque conscience d’une responsabilité qui pèserait jusqu’au bout, oppressante, sur tous mes mouvements.
Ramassée ainsi vers mon propre effort et tournée vers la fin du voyage, je ne percevais qu’alors un changement dans la condition de Faty, dont l’objet m’avait échappé. Peut-être d’ailleurs n’y en avait-il pas eu, et je me rendais seulement compte en ce moment que je m’étais trompée sur la manière dont elle faisait front à l’épreuve.
Saisissant mon état d’agitation soucieuse, elle me signifia soudain, toujours silencieuse, qu’elle avait quelque chose pour moi.
Elle me sortit alors de l’affairement qui me troublait et, recentrant ainsi mon attention sur elle toute entière, cet étonnant renversement fit sur moi l’effet d’un doux rayonnement. Mais il y avait plus.
Dépassant l’état de vulnérabilité que j’avais cru être le sien, elle s’élevait à la conscience résolument tournée vers le monde de la faiblesse qui nous touchait tous. Elle saurait où elle irait, quelles étapes il lui resterait à franchir.
Les enfants que nous accompagnions en savaient tout autant que nous, plus présents que nous aux sépulcres-aéroports, se mouvant sans traces, légers, n’imprimant leur marque que dans la contemplation, donnant au spectacle sa scansion tragique.
Elle logeait ce qu’elle avait tiré de son sac dans sa paume refermée. Lentement, et à mesure qu’elle se tendait vers moi, elle éclot. J’y vis apparaître des perles translucides, chapelet coloré, qu’assemblées d’un fil reliaient un bracelet.
Sur le don qu’elle m’en fit je méditais longtemps.
Il n’était la reconnaissance ni d’un devoir d’aider ni d’un service rendu, conceptions réductrices et imparfaites de ce que nous tentions de mettre en œuvre. Dans cet instant je voyais, miroir de concentration, se refléter dans le particulier l’ensemble de nos actions. Mais leur pourquoi m’échappait alors un peu plus, cerner leur nature véritable devenait plus incertain alors que tout se confondait en cet unique moment : la joie et la tristesse, l’angoisse, la fierté.
Ce bracelet, s’il signifiait un remerciement individuel, s’élevait aussi à devenir une nouvelle loi commune. Celle d’une certitude, pour de touchants élans comme celui-ci, de continuer de s’engager et d’agir de toutes nos forces.
Depuis, porté continuellement comme une partie d’elle à mon poignet attaché, il incarne le souvenir toujours renouvelé de toutes ces aspirations. Le regarder, c’est ne plus pouvoir les méconnaître. Le montrer seulement, témoignage silencieux, vaudrait désormais plus que tout longs soliloques et abondants monologues."
La mission Accompagnements d'Enfants Malades. Depuis ses débuts, Aviation Sans Frontières assure en partenariat avec de nombreuses ONG des accompagnements par voie aérienne d'enfants malades. Souffrant de pathologies graves, ils peuvent ainsi bénéficier dans les hôpitaux européens d’interventions chirurgicales encore impossibles à réaliser dans leur propre pays. Transportés sur des vols commerciaux réguliers par des bénévoles, ces enfants sont ainsi soignés puis ramenés guéris auprès de leur famille. Chaque année, Aviation Sans Frontières assure en moyenne, 1400 prises en charge d'enfants malades, grâce à 357 accompagnateurs bénévoles dont 24 médecins, infirmiers (-ères) ou pompiers. Un grand merci à l'ensemble de nos partenaires, donateurs, et soutiens, sans qui rien ne serait possible.