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LE 7 000e RÉFUGIÉ ACCOMPAGNÉ PAR AVIATION SANS FRONTIÈRES
16/11/2016
Le périple d'une famille réfugiée au coeur du film de Grégoire Gosset et Loïc : One Way Ticket.
Lundi 14 novembre, Kampala
Les choses sérieuses commencent.
J'ai rencontré ce matin la famille que je vais accompagner jusqu'à Lancaster (Pennsylvanie). Je me suis rendu au camp de transit de Kampala, la capitale ougandaise, avec Grégoire, le réalisateur du film et Loïc, le cameraman.
Les premiers échanges avec Jean-Pierre (le père), Chantal (la mère) et leurs cinq enfants : Claude, Noah, Elisa, Patrick et Janvier (âgés respectivement de 2, 5, 10, 12 et 14 ans) ont été faciles et très chaleureux. Ils sont accompagnés de la maman de Jean-Pierre, Elina, âgée de 78 ans et de Prince, son neveu âgé de 12 ans.
Jean-Pierre parle bien le français et traduit facilement les consignes à sa famille. J'ai fait un point complet avec eux sur le voyage qui va débuter demain soir.
Jean-Pierre était agriculteur dans le camp de réfugiés mais aussi un "modérateur " reconnu au sein du camp : il aidait la communauté congolaise à régler les conflits du quotidien. Il a vécu près de 20 ans dans ce camp. Il apparaît comme un homme souriant, calme, serein, responsable et particulièrement reconnaissant de l'accompagnement mis en place par l'OIM et Aviation Sans Frontières.
Comme deux des cinq garçons n'ont pas de blouson pour affronter le climat américain, Grégoire et moi avons décidé d'aller acheter de quoi les habiller dans un marché local.
Par ailleurs nous avons rencontré Monsieur Apollo du bureau du premier ministre ougandais pour une interview filmée sur la politique d'accueil des migrants en Ouganda. Nous avons aussi beaucoup échangé avec Madame Sheik, responsable d'OIM à Kampala.
Mardi 15 novembre, départ pour l’aéroport d’Entebbe
Départ à 7 heures pour le camp de transit avec Grégoire et Loïc.
Nous offrons à Prince et à Janvier les blousons achetés la veille. Les deux jeunes garçons semblent très heureux et touchés par ces cadeaux, et Jean-Pierre le papa nous remercie chaleureusement.
Jean-Pierre et Chantal ne s'appellent pas respectivement par leur prénom mais par "Papa Janvier "et "Maman Janvier", du nom du premier né de la famille : c'est la tradition congolaise nous confirme Jean-Pierre.
Toute la famille peaufine ses préparatifs pour le grand départ : Chantal la maman supervise le cirage des chaussures de toute la famille. Ce rituel semble important avant un grand voyage, et tous les enfants prêtent main forte. Tout le monde se change pour le voyage : nœud papillon et costume pour le papa et boubou pour Chantal, Elina et les 6 enfants. Ils se sont habillés pour ce grand départ qui représente le voyage de leur vie. Le dernier contrôle médical a lieu. Tous les membres de la famille obtiennent le feu vert tant désiré pour rejoindre leur nouvelle terre d'accueil.
En plus de cette famille de 9 personnes, voyageront 25 autres réfugiés qui auront des destinations différentes à l'arrivée à New-York : Louisville, Syracuse, Knoxville, Boston, Phoenix, Manchester, Buffalo, Hampton et Cleveland.
Après le déjeuner pris au centre de transit c'est le départ vers l'aéroport d'Entebbe situé à environ une heure et demie de route de Kampala.
À l’aéroport nous occupons l'attente en faisant dessiner les enfants qui sont heureux de montrer leurs talents en représentant des avions. Nous attendons maintenant les formalités pour embarquer : destination Amsterdam, notre escale de transit.
L'envol
Dans la salle d'embarquement d'Entebbe, Grégoire et Loïc interviewent Papa Janvier qui exprime son immense joie, ses attentes et ses espoirs. Lors de la remise du fameux sac blanc et bleu OIM, il a une réaction très forte : il embrasse le sac et crie « merci ! » avec un sourire éclatant. Toute l'assistance rit avec lui et applaudit !
Les enfants sont pour leur part fascinés par les avions au parking.
Même si Maman Janvier appréhende le vol tout s'est bien passé pour elle. Les enfants sont plus enthousiastes les uns que les autres. Ils adorent les jeux-vidéos et les petits jouets offerts par les hôtesses. Elina la grand-mère a un peu de mal à apprécier la gastronomie batave servie à bord. Heureusement Maman Janvier a apporté dans ses valises des ustensiles, cuillères en bois et spatules pour préparer dès leur arrivée à Lancaster la spécialité de leur pays : la pâte à la farine de maïs.
Le vol Entebbe-Amsterdam s'est bien passé : tout le monde a dormi durant ce long vol de nuit.
Nous sommes à Amsterdam. Le personnel OIM nous accueille avec beaucoup de gentillesse, de chaleur et d’efficacité. Plus de 80 migrants sont à bord de cet avion qui est passé par Kigali (Rwanda) avant Entebbe.
Nous attendons maintenant le vol pour New-York après avoir passé des formalités encore plus surprenantes pour notre groupe : le scanner corporel impressionne beaucoup ! La famille est déboussolée face à cette montagne de nouvelles informations à assimiler, mais leur adaptabilité est vraiment remarquable.
Nous profitons de l'attente en salle d'embarquement pour remettre à papa Janvier le certificat du 7000e réfugié accompagné par Aviation Sans Frontières à la demande d’OIM. Nous offrons aussi aux plus petits, Claude et Noah, un nounours à notre effigie qui va leur servir de doudou sur le vol Amsterdam –New-York.
Nous pré-embarquons mais malheureusement toutes les familles sont séparées. Nous utilisons notre diplomatie avec les autres passagers et l'aide de l'équipage pour trouver des solutions acceptables. Noah et Claude sont très heureux de leur doudou Aviation Sans Frontières. Noah a même attaché son nounours dans sa ceinture de sécurité durant tout le vol !
Le vol vers New York se passe sans difficulté. Les enfants, épuisés, dorment beaucoup.
Nous arrivons à JFK. Maman Janvier oublie ses chaussures dans l'avion et sort en chaussettes ! Nous les retrouvons avec l’aide de l’équipage aux petits soins durant tout le vol. Le passage à l'immigration se fait assez rapidement. Les nounours ont un franc succès et Noah et Claude ne s'en séparent plus. Papa Janvier savoure chaque instant et nous dit que c'est LE GRAND CHANGEMENT de sa vie.
Nous passons l'immigration américaine de façon rapide et très fluide. L'équipe de tournage nous attend à l’extérieur. À aucun moment les prises de vues ne sont autorisées lors des contrôles de sûreté, sécurité ou d'immigration. Nous retrouvons donc l'équipe de tournage dans le hall de l’aéroport. L'équipe OIM de New York nous encadre avec beaucoup d'attention. Les réfugiés reçoivent une collation pour se restaurer durant le voyage vers Lancaster en bus. Plus de 4 heures tout de même, après les 2 heures de Kampala à Entebbe, les 8 heures d’Entebbe à Amsterdam, les 4 heures d'attente à Amsterdam puis les 8 heures de vol d'Amsterdam à JKF !
Là, un autre moment poignant parmi tant d'autres : les groupes venus de Kigali et Entebbe se séparent. Sur les 85 membres du groupe initial, seule la famille de Papa Janvier, soit 9 personnes au total, a pour destination finale Lancaster (en fait York à 40 minutes de Lancaster). Des affinités se sont évidemment créées durant le début du voyage, et la séparation est brutale ...
Les visages commencent à s'éclairer de sourires plus francs mais les regards sont aussi teintés d'inquiétude. Très vite de nombreuses interrogations fusent dans le minibus, les conversations entre les membres de la famille se font plus intenses.
Nous approchons de la "grosse pomme". Les enfants sont très fatigués mais résistent au sommeil tant le spectacle irréel des gratte-ciels dans le soleil couchant les fascine.
Le plus actif reste toujours le petit dernier, 2 ans et demi, doté d'une énergie inépuisable ...
Il est prévu un arrêt au cœur de la ville. Nous faisons un court arrêt à Times Square. Tout le monde dort dans le bus mais Papa Janvier souhaite sentir l'atmosphère au plus près. Nous décidons de faire quelques pas sur les trottoirs. Papa Janvier nous fait des observations touchantes : "Je n'y crois pas, les gens comment dorment-ils ici ?", "Ils peuvent manger ici ?", "Mais non c'est juste des bureaux hein, Didier ? "
On sent bien un trouble, un choc gigantesque, une incompréhension devant le décalage énorme avec sa terre natale. Nous expliquons rapidement à Papa Janvier que Manhattan est sur le chemin entre JFK et sa nouvelle maison de York, qu'il pourra y venir en train en 2 heures mais que sa ville d'accueil est d'une taille beaucoup plus petite et bien plus "humaine". Il nous dit: "C'est de la science-fiction, ils font quoi tous ces gens à courir partout dans tous les sens ?"
Après quelques minutes à marcher encore un peu, nous remontons dans le bus direction Lancaster puis York. Très rapidement les conversations s'apaisent et tout le monde est exténué et s'endort profondément.
Après plus de 4 heures de route nous arrivons à York. L'équipe de volontaires de Lancaster réserve un accueil chaleureux, souriant et coloré à notre famille : ballons multicolores, pancartes de bienvenue, cadeaux pour chacun.
Le bus IOM et son équipe rentre à JFK et passe le relais à l'équipe locale. Nous montons dans deux véhicules direction la nouvelle maison de la famille. L'équipe d'accueil fait les choses de façon remarquable. Une visite très complète de chaque pièce est organisée avec explications détaillées de tous les fonctionnements des installations. Les informations à enregistrer sont tellement nombreuses ... l'équipe assure évidemment un suivi durant toute la période d'adaptation de la famille.
La maison est grande et dispose de tout le confort. Cuisine équipée (ce qui inquiète un peu maman Janvier), grande chambre pour la grand-mère Elina, deux salles de bain, une grande chambre pour les parents qui communique avec la chambre des deux plus petits enfants Claude et Noah. Au deuxième étage deux autres chambres pour Elisa, Patrick, Prince et Janvier les plus grands. Vous pouvez imaginer là encore la surprise, le choc et les interrogations de tous !
Papa Janvier nous dira autour de la table du dîner préparé par les volontaires : « Ce qui me touche le plus c'est de pouvoir manger avec toute ma famille en même temps. À Kampala nous n'avions pas assez de place et pas assez de matériel tout simplement, on se passait un verre pour boire ... »
Les remerciements de Papa Janvier sont désarmants de dignité, de sincérité et sa reconnaissance est profonde et intense. Il n'oublie jamais d'y inclure chaque membre de sa famille et leur donne la parole à tour de rôle.
Après le dîner, Grégoire et moi organisons une remise de petits cadeaux pour dire au revoir. Je remets donc à chaque enfant un petit présent au nom d’Aviation Sans Frontières. Les enfants sont radieux et jouent illico avec leurs nouveaux jouets. Les bulles de savon remportèrent un franc succès !
Puis le moment fatidique arrive, ma mission se termine. Les accompagnateurs bénévoles comprendront bien mes sentiments à ce moment-là ! Pour moi cette mission particulière est encore plus empreinte d'émotions profondes. Sans doute cette famille remarquablement soudée et attachante y est pour l’essentiel.
Didier