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Thierry Filou, envoyé spécial de la Messagerie Médicale à Port-au-Prince
30/03/2015
Presque 5 ans jours pour jours après le séisme qui a ravagé Port-au Prince, me voici de nouveau en approche, cette fois comme passager, dans le cockpit de l'Airbus d'Air France. Je vais retrouver Mario Mirambeau, notre correspondant de la Messagerie Médicale.
L'émotion n'est pas la même.
J'avais à l'époque effectué, en tant que Commandant de Bord basé aux Antilles, quelques heures avant la catastrophe, le dernier vol vers la Guadeloupe.
Aujourd’hui, c'est tout naturellement que Claude Giraud, responsable de la Messagerie Médicale d'Aviation Sans Frontières, me charge d’une mission logistique de trois jours permettant de s'assurer que les colis de dons arrivaient bien aux divers destinataires.
J'allais enfin découvrir cette ville.
Jamais par le passé, je n'eus le loisir de franchir l'enceinte de l'aéroport sur la piste duquel je m'étais pourtant posé des centaines de fois.
Mario Mirambeau, notre fidèle et dévoué correspondant d'escale, se faufile à travers un carrefour au volant de son véhicule tout terrain (ici ce n'est pas du luxe, les rues non goudronnées pour la plupart, sont défoncées). C'est un incroyable entrelacs de couleurs, de bruits, d'odeurs et certainement de stupeur. On y retrouve pêle-mêle, les tap-taps, bus dont l'enveloppe ajourée peinte et vivement colorée, cachent une foule entassée. Celle-ci est composée d'écoliers joliment habillés, de femmes simplement vêtues et portant un panier ou un balluchon recélant le maigre produit de leur futures ventes. Bien d'autres véhicules participent à ce concert de Klaxon. Les nombreux camions citernes d'eau sur lesquels on peut lire des messages divins -"L'éternel, Dieu tout puissant..."-, nous emmènent vers plus de respect et de compréhension pour embrasser la vie qui anime cette population meurtrie.
Le contraste est saisissant.
Lorsque le portail s'ouvre nous découvrons un havre de paix où même la poussière qui semblait nous envelopper comme une gangue irritante, s'est évaporée. Les bâtiments faits de pierre et de bois sont neufs, les parterres qui délimitent les allées sont agréablement plantés de fleurs et de fruits tropicaux. Le mauve ardent du bougainvillier qui coure sur les murs représente un appel pour admirer le vert trempé des feuilles d'ananas serpentant à même le sol. Ici les enfants semblent heureux, soignés qu'ils sont dans leurs uniformes quelque peu surannés, ils étudient en paix.
Ces congrégations de religieuses représentent pour le pays une réelle chance.
Et puis dans tout ce halo de misère qui semble emprisonner cette population comme le smog fige les grandes capitales industrielles, apparaît dans le flou, telle une luciole rédemptrice, cette femme admirable.
Sa maison, certainement celle du bonheur, est spacieuse et lumineuse.
Kathelen Douyon l'a généreusement transformée en orphelinat. Lorsque nous parcourons les coursives qui enroulent un puits de lumière je comprends pourquoi « Horizon de l'Espoir » est affiché comme une bannière près de la porte ajourée mais consciencieusement cadenassée. L'insécurité n'est jamais loin ici.
Kathelen développe une telle énergie qu'elle me fait oublier la fatigue du voyage et du décalage horaire. Lorsqu'elle nous présente avec un enthousiasme qui redonnerait espoir aux plus pessimistes, les colis de dons envoyés par Aviation Sans Frontières, je sens une fibre réconfortante parcourir mes veines et venir soulager mon cou meurtri par les secousses de la voiture. Ce sont des étagères entières de boîtes de lait que Kathelen nous dévoile avec fierté. Elle n'en a jamais assez.
Nous sommes tranquillement installés dans cette vaste pièce qui lui sert aussi de chambre, afin de consigner la liste des besoins qu'elle peut exprimer. Je la vois alors énergiquement se lever au son pour elle familier des pleurs de sa plus jeune pensionnaire. Je comprends à cet instant à quel point elle considère chacun des enfants comme les siens.
Kathelen nous explique que cette petite est juste guérie du choléra, mais qu'elle craint une rechute...
Tous les enfants qu'elle héberge arrivent malnutris et les dons de lait et autres compléments nutritifs envoyés par la Messagerie Médicale sont pour elle une source immense de réconfort et lui permettent d'envisager sereinement l'avenir pour "ses" enfants qui n'ont pas vocation à demeurer dans cet orphelinat, mais qu'elle tente de placer dans des familles d'accueil.
Mon séjour m'a permis de découvrir d'autres congrégations ou orphelinats, toujours tenus par des religieuses ou des femmes qui forcent le respect. Les besoins qu'elles ont en matière de dons paramédicaux sont immenses et le rôle discret mais non moins efficace de la Messagerie Médicale au sein d'Aviation Sans Frontières est primordial pour redonner à ce pays le sourire, comparable à celui de Kathelen Douyon, qui m'a empli les yeux de reconnaissance et le cœur de bonheur.
Ce sourire je l'ai aussi perçu comme une vague rédemptrice lorsque nous nous sommes arrêtés auprès d'une jeune fille aux membres inférieurs amputés lors du séisme et se déplaçant grâce à une carriole mue par un pédalier à hauteur des mains. Mario, à qui la Messagerie Médicale fait parvenir divers équipements médicaux et qui sait avec son très grand cœur les distribuer équitablement, lui demandait si le fauteuil roulant qu'il lui avait fourni lui convenait...
Mon retour vers Paris s'est effectué, comme à l'aller, avec une escale à Pointe à Pitre. J'ai eu le loisir de rencontrer de nouveau Colette Bellon-Julienne, notre nouvelle correspondante en Guadeloupe. Son rôle dans cette chaîne humanitaire qui anime la Messagerie Médicale est primordial. C'est elle, avec l'aide de Ruddy Thenard et des manutentionnaires, qui permet le transfert des colis arrivant depuis Orly vers l'Airbus desservant Port au Prince.
Pendant que je m'endormais, tranquillement et confortablement installé grâce à la gentillesse de mes collègues tout au long de ce voyage éprouvant, je ne pouvais m'empêcher de penser à la leçon de vie que m'avaient transmis tous ces personnages fabuleux qui forcent mon admiration, et toujours un peu de mon esprit dans les étoiles, ils m'apparaissent alors comme des guides vertueux.
Thierry Filou
Pour finir, retrouvez quelques photos de ces maginifiques sourires...