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AR 2018 09 14

Roméo et Juliette : une histoire éternelle

14/09/2018

Jean-Claude, Responsable des Accompagnements de Réfugiés, revient sur une mission qu'il a réalisé récemment :

"Il n’est pas encore six heures du matin quand, à l’aéroport de Sabina Gokcen d’Istanbul, Brigitte et moi rencontrons nos collègues et amis d’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations).

Entourés de nombreux sacs et valises, 171 réfugiés syriens sont regroupés par famille. Ils attendent calmement devant le comptoir d’enregistrement de la compagnie charter espagnole que nous allons prendre. On ne sent pas chez eux l’excitation que devrait provoquer normalement le voyage qu’ils vont entreprendre et qui va les conduire vers leur nouveau pays d’accueil : l’Allemagne.

Pourtant ce voyage vers Hanovre est le résultat d’une décision certes difficile qu’ils ont prise en famille et qui engage individuellement leur avenir.

Vouloir migrer dans un pays d’accueil est une décision lourde de conséquences qui fait en quelque sorte table rase du passé, d’une culture et d’une langue. Passer du statut de réfugié à celui de migrant implique des choix et donc inévitablement des renoncements.

Un peu à l’écart, un groupe de cinq personnes semble vivre des moments difficiles. A moins de dix mètres de là, se tient un homme qui paraît avoir une petite quarantaine d’années. Il est seul, bien campé sur ses pieds, les yeux rivés sur le clan que forment les quatre sœurs et le frère. La plus jeune des filles - Mezkin 19 ans - est tombée amoureuse de ce Turc et ne veut donc plus partir. La décision finale n’est pas encore prise même si on pressent que de longs conciliabules ont déjà eu lieu au sein de la fratrie. L’ainée, Selvin, devenue à la mort des parents chef de famille, est confrontée à un terrible dilemme : partir en Allemagne avec ses autres sœurs et frère, en laissant en Turquie la plus jeune sœur ou annuler le départ pour tous et revenir dans le camp où ils vivaient depuis près de quatre ans.  Un choix cornélien entre la promesse d’une nouvelle vie à faire ensemble ou séparément.

Gabriel, le responsable d’OIM, envisage déjà dans sa tête les nombreuses démarches administratives qu’il faudra faire si le groupe ne part pas ou s’il se sépare. Pas facile à gérer ce genre de situation. Sans nous désintéresser du drame qui se joue, Brigitte et moi commençons notre travail pour assister les migrants à passer les différentes étapes qui les attendent (contrôle de police, contrôle de sécurité des personnes et des bagages à main). Un long travail d’assistance qui prend tout son sens quand on côtoie de près ces voyageurs sans aucune expérience des voyages aériens.

Deux longues heures s’écoulent avant que la décision ne nous parvienne. Juliette, alias Mezkin, bien que mineure au regard de la loi, va rester avec son Roméo turc. Le reste de la famille syrienne en quittant Istanbul fait le choix d’une autre vie tout en vivant déjà comme un deuil cette difficile séparation.

Happy ending ? Qui peut savoir. En tout cas l’avenir le leur dira."