Image
Croix rouge

Entretien avec Tuan TRAN-MINH, conseiller du président de la Croix-Rouge française chargé des opérations internationales

27/10/2016

Un an s’est écoulé depuis la fin de notre mission Ebola en Guinée. Réalisée, de décembre 2014 à août 2015, à la demande du Ministère des affaires étrangères et du Développement international, l’intervention d’un de nos Caravan a permis d’apporter une précieuse aide logistique aux acteurs engagés dans la lutte contre ce virus qui a causé la mort de plus de 2500 Guinéens. La fin de cette épidémie a été officiellement annoncée deux fois par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Si la vigilance est donc toujours de mise au sein de la communauté internationale, le recul permet de dresser un bilan de la gestion de cette crise. Parce que les équipes de la Croix-Rouge française ont été en première ligne dans cette mission inédite, nous avons souhaité faire ce travail de décryptage avec Tuan TRAN-MINH, conseiller du Président de l’association chargé des opérations internationales. Entretien.

 

Qu’avez-vous appris de cette mission si particulière qu’a été la lutte contre l’épidémie d’Ebola ?

Pour la Croix-Rouge, c’était un nouveau défi. Nous avions déjà travaillé sur des problématiques de maladies épidémiques, notamment sur le sida, mais là, nous avons été confrontés à tout un ensemble de difficultés. C’est-à-dire une intervention en urgence sur une maladie que nous ne connaissions pas, dans un secteur que nous ne connaissions pas et avec une grande disparité géographique. A la demande du gouvernement français, nous sommes intervenus en Guinée forestière, qui était l’épicentre de l’épidémie. Nous sommes aussi intervenus en Guinée maritime. Nous avions donc de longs trajets à faire. Il a fallu construire de très grands centres car nous ne pouvions pas prévoir l’ampleur que l’épidémie prendrait. Il a fallu déplacer des équipes, et les moyens matériels très rapidement. Nous avons également dû faire face à une difficulté de recrutement de personnels. Autant pour le personnel médical et paramédical, le processus s’est fait relativement facilement car il connait le risque lié au contact avec les malades. En revanche, pour le personnel administratif, nous avons eu beaucoup de difficultés à recruter, à former et à sensibiliser les gens. Souvent les familles étaient réticentes à ce qu’un de leurs membres parte travailler dans un centre Ebola. Les conditions de travail, de vie et d’hébergement étaient aussi difficiles. Il fallait pouvoir travailler avec une tenue pendant 50 minutes. Et quand il fait 30 degrés dehors et que vous êtes sous trois couches de protection, il fait vite 50 degrés.

 

Qu’est-ce qu’il ressort finalement de votre retour d’expérience ?

Nous savons désormais que nos équipes peuvent répondre à cette crise sanitaire. D’autre part, nous avons fait des progrès considérables, tant sur la biologie, sur le dépistage, que sur le traitement en lui-même. Avec l’Inserm et le ministère de la santé américain, nous avons travaillé sur des nouvelles molécules qui ont été testées et mises en œuvre très rapidement. C’est toujours une maladie grave puisque le taux de mortalité reste malgré tout très important. Mais les progrès de la prise en charge ont été considérables. D’autre part, nous sommes en train de rédiger un manuel technique sur la prise en charge d’Ebola de manière à ce que les équipes puissent avoir à disposition un document de travail pour les prochaines épidémies, et pas seulement d’Ebola. De nombreuses questions très précises, très techniques se sont posées au cours de cette mission. Notamment sur des problèmes de chloration, de désinfection ou encore d’alimentation électrique des laboratoires que nous mettions en place. Également sur l’aspect médical, sur l’aspect psycho-social (comment aborder la thématique de la maladie avec les familles et les proches ?). La question du décès était aussi très délicate puisque les familles ne pouvaient pas procéder aux rites funéraires habituels.

 

Justement, comment ont été gérées ces questions anthropologiques ?

Ces questions ont été gérées par la Croix-Rouge guinéenne qui avait en charge ces enterrements dignes et sécurisés. Les enterrements habituels sont des cérémonies au cours desquelles la famille et les proches touchent le défunt en le prenant notamment dans ses bras. Ce qui pose un problème de contamination considérable. Il y a eu, par ailleurs, des cas où la population refusait qu’un défunt contaminé par Ebola soit enterré. Le personnel de la Croix-Rouge guinéenne a parfois été maltraité lors d’enterrements ou d’arrivées d’équipes de prise en charge. A certains moments, nous avons dû déplacer des malades sur d’assez grandes distances et la population avait peur que nous ne les rendions pas. Les plus folles rumeurs courent toujours dans ces situations de crise. Il fallait donc à chaque fois sensibiliser la population. C’est pour cette raison que ce sont les équipes de la Croix-Rouge guinéenne, qui sont très impliquées, très proches de la population puisqu’elles en sont issues, qui ont réalisées ce travail de sensibilisation et d’explication. Nous avons, par exemple, organisé des visites des centres de traitement des malades avant leur ouverture pour que la population voie comment cela allait se passer.

 

La prise en compte de l’environnement culturel, de toutes les croyances, rites et coutumes des populations locales est-elle tout à fait récente ?

Non puisque pour le sida nous avons rencontré les mêmes problématiques. Ce n’était donc pas nouveau, si ce n’est que dans ce cas, travailler dans l’urgence représentait un grand défi. Il fallait donc prendre en compte ces questions anthropologiques avec beaucoup d’importance étant donné que cela soulevait également des questions de sécurité.

Vigilance

L’épidémie d’Ébola est-elle vraiment terminée en Afrique de l’Ouest ? Officiellement endiguée depuis le 1er juin dernier, cette fièvre hémorragique, très contagieuse, est encore surveillée de très près par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). L’agence onusienne se montre très vigilante depuis que la maladie a ressurgi en mars dernier quelques semaines après qu’elle ait annoncé la fin de l’épidémie.
Cette prudence observée par l’OMS s’explique par le fait que malgré leur guérison, les personnes qui ont été contaminées par Ebola peuvent conserver le virus dans leur organisme pendant neuf mois.
Apparue en Guinée en décembre 2013, la maladie s’était propagée au Liberia et en Sierra Leone contaminant 29 000 personnes et causant la mort de plus de 11 000 d’entre elles.